Pierre Sabatier : « La crise sanitaire a accéléré la convergence entre le consommateur et le citoyen »

27 décembre 2022 - Joshua Daguenet

Économiste prospectiviste et conférencier, Pierre Sabatier a exprimé à l’occasion d’un séminaire organisé par la firme-services CCPA, la nécessité de se réinventer et se projeter en adéquation avec les changements conjoncturels et structurels traversés par notre société.

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Porcmag : La Crise en Ukraine revêt-elle d’une crise identitaire européenne ?

Pierre Sabatier : Toutes les crises sont les conséquences de changements profonds de ce que nous sommes. Historiquement, le secteur agricole ose évoluer. Les changements ne sont pas externes, nous changeons en nombre et en termes d’aspirations. La crise en Ukraine n’est que la conséquence de ce phénomène. Elle s’inscrit dans un phénomène plus global d’une montée des tensions depuis les années 2010. C’est un choc européen, les États-Unis souffriront peu des conséquences économiques, idem pour la Chine. Il y a une réponse européenne collégiale à la crise. Les tensions ne sont pas que guerrières, mais aussi commerciales, environnementales et parfois terroristes.

L’Europe paye-t-elle son manque d’autonomie ?

On assiste à une « recontinentalisation des échanges » avec les blocs Amérique, Asie, et espérons-le, Europe, dont la tendance ces dernières années est de toujours courir derrière l’Asie et l’Amérique qui privilégient le pragmatisme (leurs intérêts propres) à l’idéologie (solidarité internationale)... Il y a toutefois aujourd’hui une prise de conscience sur le Vieux continent de la nécessité de « recontinentalisation des échanges » par souci d’autonomie et de sécurité qui devrait permettre de rattraper en partie le retard pris au cours des années 2010. L’autonomie est une question prioritaire de sécurité nationale. Aux États-Unis, cette question ne date pas du président Donald Trump mais de son prédécesseur, Barack Obama. Dans ce contexte, les Européens vont enfin comprendre que l’autonomie est une question centrale dans un monde de plus en plus tendu.

Comment se matérialise ce pragmatisme dans le secteur agricole aux États-Unis ?

Par la signature des « Farm Bill » en 2014 et 2018 qui ont instauré des aides couplées pour soutenir les producteurs. Puis par la recontinentalisation des échanges avec le Canada et le Mexique, le protectionnisme notamment envers la Chine - sur le blé, par exemple - ou encore les fermes verticales.

La maîtrise de la croissance démographique est un enjeu, lui aussi, crucial...

La mère de toutes les ruptures est d’origine démographique, tant quantitative (le nombre), que qualitative (qui sommes-nous ?). Démographiquement, la propension de pays qui vont être confrontés à une stagnation voire une diminution de sa population est largement majoritaire dans le Monde.

« Il y a aujourd’hui une prise de conscience en Europe de la nécessité de recontinentaliser les échanges par souci d’autonomie et de sécurité »

Quels problèmes économiques peut poser un vieillissement de notre population ?

Le vieillissement de la population réduit la croissance potentielle de nos économies développées, car le cycle de consommation tout au long de la vie dessine une parabole qui atteint son sommet vers 55 ans. La demande va naturellement stagner dans nos économies matures. La qualité va prévaloir sur la quantité. Le vieillissement accéléré va engendrer une baisse relative des pensions de retraite pour équilibrer le système de retraite qui aura pour conséquence une augmentation du travail chez les seniors, principalement en temps partiel, une liquidation du patrimoine et une réduction du pouvoir d’achat des aidants limitant la possibilité de solidarité intrafamiliale. À paramètre constant, une hausse de l’âge du départ à la retraite sans amélioration de l’employabilité après 55 ans provoquera une hausse du chômage chez les seniors. Il y aura également un gros sujet de transmission d’entreprises.

Quels ont été les phénomènes sociologiques majeurs du XXe siècle dans nos sociétés ?

Il y a eu une révolution des 3 « C » : consommateur, concitoyen et collaborateur. La révolution du collaborateur est une conséquence de l’évolution démographique. Elle a été générée par la politique de l’enfant unique ayant engendré le phénomène de « l’enfant roi ». C’est pourquoi la nouvelle génération ne nous ressemble pas, car elle a reçu une éducation différente. Se réinventer au sein de son entreprise est permis en disposant d’équipes prêtes à aller vers un sens commun. Il est primordial de définir la place que l’on veut avoir dans le monde qui vient. C’est la clé de l’engagement. Les changements sont d’ordre structurel. La révolution des 3 « C » ne nous laisse pas d’autre choix que de nous réinventer. Le fossé entre ce que dit et fait le consommateur s’est resserré. La crise sanitaire a montré que l’Europe n’est pas autonome mais elle a été un accélérateur de convergence entre le consommateur et le citoyen. Le fait de « débrancher » en partie l’activité économique a permis de nous montrer comment bénéficier de nos biens autrement.

Comment une entreprise peut-elle encore progresser dans un marché arrivé à maturité ?

Dans un marché mature, le levier principal d’une croissance individuelle pour une entreprise est d’acheter des parts de marché. La consolidation et la fusion que l’on observe ces dernières années sont les conséquences d’une faible croissance interne. Elles permettent de continuer la croissance individuelle dans un environnement de stagnation naturelle de la demande. La limite du phénomène est la non-acceptation par les populations de l’accroissement des richesses de quelques-uns aux dépens des autres, pouvant occasionner un découpage réglementaire des grosses entreprises pour réduire les inégalités et les externalités négatives générées au niveau écologique.

Connectés : L’avenir appartient moins aux « gros concentrés » qu’aux « petits connectés ». La révolution technologique offre cette capacité à connecter les petits, à faire cohabiter la dimension locale et globale. La puissance découle de la puissance à connecter.
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80 % du budget du Farm Bill est consacré à l’aide alimentaire intérieure. Il ne vise pas les mêmes objectifs que la PAC.

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