Porcmag. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la possibilité de faire abattre vos porcs et bovins allaitants chez vous, sur la ferme ?
Stéphanie Prouteau : Dans notre région, nous sommes en zone blanche concernant les abattoirs. Il faut emmener les animaux loin - nos porcs sont abattus à Porcimauges à Beaupréau (49) (2h de route en camion) et nos bovins à la Roche-sur-Yon (85) (30 minutes) - et ils peuvent passer jusqu’à 24 heures en bouverie avant d’être abattus. Cela repré- sente un stress important pour eux, ce qui impacte négativement leur bien-être et la qualité de viande ensuite, notamment chez les bovins. Nous avons eu des soucis de viande pisseuse, qui ne se tenait pas. Je voulais agir vis-à-vis de cela, pour faire en sorte que mes animaux soient bien jusqu’au bout. Sur le territoire, il existe une réelle demande de proximité de la part des éleveurs souhaitant faire abattre des petits volumes.
C’est ce qui vous a poussé à adhérer à l’association AALVie (Abattage des animaux sur leur lieu de vie) ?
S.P : En réalité, j’ai d’abord intégré le collectif « Quand l’abattoir vient à la ferme » en mai 2019. Celui-ci avait été créé en 2016, sur les départements 44 et 85. Il se composait principalement d’éleveurs pratiquant la vente directe. Le collectif projetait de travailler avec l’abattoir de Challans (85) (à 30km de notre élevage, où allaient nos bovins auparavant) pour que les animaux soient abattus à la ferme et les carcasses transportées vers ce dernier pour y être découpées. Mais l’abattoir a fermé en janvier 2019. Le collectif a donc dû revoir son projet. En plus d’investir dans une flotte de caissons sur remorque permettant de réaliser les étapes d’étourdissement et de saignée sur l’exploitation, il a décidé de construire une unité fixe pour le dépeçage, l’éviscération et la mise en carcasse. Cette adaptation projetant l’initiative dans une tout autre dimension économique et structurelle, il a alors fallu prospecter pour recruter des forces vives. C’est ainsi que j’ai rejoint le collectif, qui, en juillet 2019, s’est transformé en association nommée AALVie. Elle compte aujourd’hui 150 fermes adhérentes. Je suis membre du conseil d’administration et référente de la commission sanitaire.
Pouvez-vous nous décrire les contours du projet ?
S.P : Il concerne toutes les espèces (bovins, porcs, chèvres, moutons, chevaux, cervidés). L’unité fixe se situera à Machecoul (44). Le rayon d’action sera d’une heure, car nous sommes contraints par le temps pour y apporter les animaux abattus. Notre ferme est concernée puisqu’elle se situe à un peu plus de 45 minutes de celle-ci. En rythme de croisière, nous prévoyons de fonctionner avec une dizaine de caissons de deux types : l’un pour les bovins, l’autre pour les petits animaux (voir schémas). Comme le fourgon et la remorque avec le caisson pèseront moins de 3,5 tonnes, le permis BE suffira pour effectuer le transport vers l’unité fixe. Celle-ci permettra de réaliser la découpe jusqu’au quart de carcasse maximum. L’éleveur restera propriétaire de la carcasse, charge à lui de s’en occuper ensuite. Nous prévoyons l’embauche progressive de dix salariés. L’objectif est qu’ils soient polyvalents, donc chacun sera formé pour obtenir la certification RPA (responsable de protection animale), nécessaire pour se déplacer sur les fermes. Tous les éleveurs suivront également une formation pour l’accompagnement des animaux à la mort. L’objectif est que cette étape soit bien vécue par l’éleveur comme par l’animal. Ceux qui souhaiteraient s’investir jusqu’au bout auront la possibilité de venir travailler sur la chaîne en tant qu’éleveurs tâcherons après avoir suivi une formation.
Quel est l’état d’avancement du projet ?
S.P : Ce qui a été imaginé-là n’existe nulle part ailleurs. Mener à bien ce projet est donc un vrai parcours du combattant ! Mais l’année 2022 sera celle de la concrétisation. Les plans du caisson sont en cours de finalisation. Dans un premier temps, nous nous sommes concentrés sur celui destiné aux bovins. Le prototype va être construit dans le courant de l’année, l’objectif étant de réaliser les premiers essais cet été. Ils devraient être effectués avec l’abattoir de Châteaubriant (44). Nous avons déjà travaillé ensemble en février 2020, pour tester le modèle de caisson allemand. Modèle que nous n’avions pas retenu, car il nécessitait d’installer une cage de contention et d’utiliser du matériel sur chaque élevage. Le dossier de permis de construire de l’unité fixe sera déposé au printemps. Celle-ci devrait entrer en service pour les bovins au second semestre 2023. Nous nous laissons un an ensuite pour ouvrir l’activité aux petits animaux. En attendant de finaliser le caisson pour ces derniers, l’unité fixe possédera un poste d’abattage pour eux. Cela permettra déjà de limiter le stress. L’éleveur emmènera lui-même ses animaux, au moment de l’abattage, donc il n’y aura pas d’attente.
À combien se chiffre l’investissement dans les caissons et l’unité fixe ? Un tel projet peut-il être viable économiquement ?
S.P : Au global, il faut compter 4 millions d’euros d’investissement. Notre plan de financement sera bientôt bouclé, nous avons de nombreux soutiens (voir encadré). D’après la dernière simulation que nous avons réalisée, cette méthode coûtera 0,20 €/kg carcasse de plus qu’un abattage classique. L’éleveur pourra facilement répercuter ce surcoût sur son prix de vente au client. Cette démarche est donc tout à fait envisageable. Pour la commercialisation, nous avons prévu de créer une marque « Né, élevé et abattu à la ferme », qui certifiera que c’est le cas, avec un cahier des charges précis sur les conditions d’élevage et d’abattage. Les éleveurs qui le souhaitent pourront y adhérer. L’objectif final est que ce modèle puisse se dupliquer ailleurs en France.
Carte de visite
La Ferme du Grand Bois, Martinet (85)
> 3 UTH (Stéphanie Prouteau, son mari, un salarié)
> Agriculture biologique
> 12 truies NE partiel (80 % des porcs vendus à un engraisseur bio)
> Génétique : LW x LR x Piétrain (monte naturelle)
> 35 vaches allaitantes maraîchines
> SAU : 110 ha, dont 20 ha de méteils pour les porcs avec achat de complémentaires (Mercier)
> Commercialisation : 100 % vente directe (vaches, veaux, porcs engraissés) de colis et pièces au détail aux particuliers
Zoom
Les partenaires du projet
> Volet sanitaire : Groupe Cristal (Resagro, voir p. 22)
> Volet économique : CER France
> Plans de l’unité fixe : Cetrac, spécialiste de la conception d’abattoirs
> Caisson : plans réalisés par une entreprise spécialisée dans la carrosserie industrielle, une autre entreprise fera la construction
> Soutiens financiers : Nantes Métropole (prise en charge de l’enveloppe R&D pour le prototype du caisson), la région Pays de la Loire, la majorité des communautés de communes concernées (financement du projet et/ou achat de produits par la suite), cotisation des adhérents d’AALVie (100 €/an), cagnotte Miimosa été-automne 2020 (90 000 € récoltés, financement d’une chargée de mission et d’une apprentie)