La chaleur met les porcs sous pression

15 mai 2020 - Emmanuelle Bordon

Lorsque la température monte, que ce soit brutalement et/ou pour une durée assez longue, cela provoque chez le porc des modifications physiologiques qui ont des conséquences sur sa santé et sur ses performances. Le point avec Franck Bouchet, vétérinaire du cabinet Porc.Spective.

Photo : Porc.Spective

Franck Bouchet, vétérinaire du cabinet Porc.Spective

L’augmentation de la chaleur crée du stress. Pour Franck Bouchet, vétérinaire du cabinet Porc.Spective, le stress thermique peut être défini comme « une réaction à l’inconfort qui est ressenti par le porc dès que la température sort -que ce soit vers le haut ou vers le bas- de la zone de neutralité thermique ». Difficile, cependant, de définir précisément cette zone, car elle ne dépend pas que de la température mais est le résultat d’une combinaison de facteurs. Les écarts sont notamment plus difficiles à supporter lorsque l’hygrométrie est élevée. « Il est donc primordial, à l’aide d’une bonne ventilation, de maintenir l’hygrométrie de la salle à moins de 80% », explique Franck Bouchet. Par ailleurs, dans un bâtiment sur paille, les animaux supportent mieux le froid mais sont plus sensibles à la chaleur. Il en va de même si la densité dans les cases est élevée : le stress thermique est atteint plus rapidement.

Enfin, le stade physiologique de l’animal est déterminant : les jeunes animaux ont besoin de chaleur, les adultes la craignent. Selon l’ouvrage de référence des vétérinaires, « Disease of Swine 11ème édition », un porcelet de 2 à 5kg, en maternité, a besoin d’une température ambiante de 30 à 27°C et, en post sevrage (5 à 20 kg), de 30 à 24 °C. A l’inverse, un porc charcutier, de 55 à 110 kg, trouve son confort entre 24 et 10°C. De même, une truie allaitante est plus sensible à la chaleur qu’une truie gestante: chez la truie en lactation, les températures d’été s’ajoutent en effet à une production de chaleur déjà forte d’ordinaire. « Elle produit davantage de chaleur car elle mange beaucoup et mobilise ses réserves pour la production de lait », souligne Franck Bouchet. Il faut donc, en maternité, trouver un compromis entre le besoin de confort des porcelets et celui de la truie.

Quand la température monte

« Si la température ambiante s’élève au-dessus de la zone de confort de l’animal, son organisme  actionne les mécanismes de la thermolyse sensible, c’est-à-dire tous les phénomènes physiologiques qui lui permettent de faire baisser sa température corporelle », explique Franck Bouchet. Les suidés ont peu de glandes sudoripares et elles ne sont pas fonctionnelles. Ils ne peuvent donc profiter du rafraîchissement que procurerait l’évaporation de la sueur.
Dans un premier temps, le porc cherche la fraîcheur, en s’allongeant, isolé de ses congénères, sur les caillebotis, voire dans ses déjections. Parallèlement, son organisme met en œuvre des mécanismes de thermorégulation. Le sang est redistribué vers les réseaux capillaires de la peau pour évacuer la chaleur interne. Pour certains endroits du corps, comme les oreilles, on observe une augmentation du débit sanguin qui facilite les pertes thermiques. Puis la respiration s’accélère pour évacuer la chaleur.

Le porc cherche la fraîcheur en s'allongeant, isolé de ses congénères, dans les endroits les plus frais. Ici, il choisit les zones de la litière les plus humides, ou bien, il s'installe dans les abreuvoirs !

Ces mécanismes, qui sont communs à tous les animaux homéothermes, c’est-à-dire ceux dont la température corporelle est constante, ont cependant une efficacité limitée chez le porc. En effet, par rapport au volume de son organisme, sa capacité pulmonaire est assez faible et sa surface cutanée est restreinte, surtout chez l’adulte. « C’est pourquoi les porcelets souffrent moins de la chaleur que les truies ou les porcs charcutiers », conclut Franck Bouchet.

Stress aigu, stress chronique

Lorsque les mécanismes de thermolyse sont dépassés, si la température continue d’augmenter, le porc commence à subir des dommages physiologiques.

D’une part, la redistribution du débit cardiaque vers la peau et les muscles réduit la vascularisation de l’appareil digestif, entraînant l’affaiblissement du rôle de barrière de la muqueuse. Des produits microbiens (bactéries, toxines) circulent alors, provoquant une réaction inflammatoire brutale qui à son tour déclenche un dysfonctionnement des organes, des troubles nerveux, un coma et la mort de l’animal.

D’autre part, suite à une augmentation de la polypnée thermique (l’accélération du rythme respiratoire, avec diminution du volume, qui se déclenche quand la température ambiante est trop élevée). l’animal subit une alcalose respiratoire et une augmentation de son pH sanguin, par réduction de la teneur en CO2 sanguin. Pour conserver un pH stable, l’organisme consomme du bicarbonate et des protons H+ pour produire de l’eau et du CO2. En parallèle, il subit une réduction du taux de potassium et de calcium sanguin. Ces réductions conduisent à des arythmies cardiaques, des perturbations des contractions musculaires, des messages nerveux entraînant des syncopes et parfois un arrêt cardiaque.

« Ce phénomène, qui peut parfois conduire au décès en quelques heures, risque particulièrement de se produire lors d’un épisode caniculaire brutal, souligne Franck Bouchet, car même de courte durée, celui-ci crée un stress aigu chez les animaux. » Dans ce cas, les conséquences sont très visibles. Les animaux qui meurent les premiers sont ceux qui ont le plus de valeur : les truies allaitantes et, éventuellement, gestantes, ainsi que les porcs charcutiers en finition. Or la perte d’une truie en fin de gestation est estimée à 1
087
€ et celle d’un charcutier en finition à 152
€ (source
: IFIP, 2019).

Cependant, hors des épisodes de chaleur aiguë, la surchauffe chronique, même si elle produit des effets plus difficiles à mesurer, a également un impact négatif sur la santé du cheptel et sur ses performances. « Lorsque la chaleur s’installe, le porc tend à s’habituer en développant des phénomènes de compensation qui, s’ils lui permettent de survivre, ont un impact négatif sur ses performances », précise Franck Bouchet.

Lorsqu’il fait chaud, les animaux réduisent leur consommation alimentaire parce que la digestion engendre une production de chaleur. La réduction de l’apport en nutriments entraîne des carences en énergie, vitamines et minéraux, ce qui a des effets néfastes sur les performances, même si ce n’est pas immédiat. De fortes chaleurs en été peuvent ainsi entraîner une réduction du GMQ des porcs charcutiers dans les semaines qui suivent. Chez les truies, les carences entraînent une baisse de la fertilité (coût d’une truie vide écho : 731 €)(voir graphique ci-contre), de la prolificité (coût d’un porcelet en moins : 62 €), des avortements (coût d’une truie réformée
: 885
€)1, voire des difficultés à la mise bas, en cas d’anémie ou de manque de calcium. Elles pénalisent aussi les cochettes et provoquent une augmentation des syndromes de deuxième portée. Enfin, les os sont sollicités, en libérant du calcium, quand la capacité de régulation des reins et des poumons n’est pas suffisante pour maintenir le bilan électrolytique sanguin.

Ainsi, lorsque la question se pose de savoir si cela vaut la peine d’investir dans des aménagements du bâtiment, une alimentation adaptée ou des équipements spécifiques, Franck Bouchet répond « oui » sans hésiter. « Si je fais l’addition des pertes d’animaux provoquées par les épisodes de canicule et de celles qui sont dues au manque de performances engendré par le stress chronique de l’été, investir est une très bonne chose », conclut le vétérinaire. Car en réalité, l’investissement ne concerne pas quelques jours mais plusieurs mois dans l’année.

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